17.2.12

La femme et l’ours – Philippe Jaenada



Il faut voir le dernier roman de Philippe Jaenada, l’un des romanciers actuels les plus déjantés, comme une suite à distance de  « Plage de Manaccora, 16H30 » (voir notre post). On y retrouve le trio qui faillit périr asphyxié et carbonisé dans l’incendie qui ravagea leur lieu de vacances quelque temps plus tôt. Revenus à Paris, Bix (le double de Jaenada), sa femme (toujours aussi fragile psychologiquement et envahie de tocs) et son fils vivent une vie sans trop de relief. Bix continue de vaguement publier et son dernier roman va recevoir d’ailleurs un prix de seconde zone des mains de Jacques Toubon dans une séquence qui compte parmi les meilleurs moments du bouquin. Il complète les maigres rentrées pécuniaires par un travail de journaliste à Voici et s’occupe surtout à plein temps de son fils sous le diktat inconditionnel de son épouse. Jusqu’au jour où, traité de « Connard » dans un des moments d’hypocondrie de sa moitié, il claque la porte et part pour un tour de France improbable.

Retour aux beuveries avec les potes dans les bars qu’il avait délaissés à regret. Toujours plus d’alcool entrainant toujours plus de soif, Bix finira par vite perdre ses repères et noyer son spleen et sa vie de raté dans un delirium alcoolisé où rêves et mythes, espoirs déçus et vaguement entrevus vont finir par l’isoler du monde et le projeter dans une quête vouée à l’échec.

Car Bix aura rencontré une jeune femme aussi folle que lui, incroyablement attirante, presque aimée un soir et perdue le lendemain. Il lui faudra la retrouver à tout prix pour la baiser car, de cela aussi, son épouse tyrannique le prive. Il ne s’agit pas d’amour, juste de sexe avant de revenir au bercail et de se faire pardonner.

« La femme et l’ours » peut se concevoir comme une sorte de synthèse de l’ensemble de l’œuvre de Jaenada, comme une dissertation éthylique sur son univers romanesque campé chez les paumés, les exclus, où les femmes sont faciles mais perfides, les hommes faibles et soûlards. Un monde où l’alcool efface la misère et engendre de la fraternité.

Mais c’est aussi le roman le plus faible de l’auteur, précisément parce qu’il hésite entre différentes pistes, tantôt prolongation de ce qui le hante, tantôt fable, tantôt confession intime sur des chapitres de sa vie restés jusqu’ici cachés (sa réclusion volontaire dans son appartement à l’âge de vingt-cinq ans pour vivre une expérience forte qui lui fit découvrir sa vocation d’auteur). Roman le plus faible aussi car il faut longtemps, trop longtemps, pour commencer de comprendre là où Jaenada veut nous mener tant la trame part dans tous les sens et le récit manque de souffle au moins dans le premier tiers.

Autant l’avant-dernier opus avait marqué un salutaire renouvellement, autant le dernier nous laisse dubitatif. Ce n’est pas franchement raté car il y a la force des images inattendues et, tantôt, l’auteur déclenche un trait fourbe et plein d’humour. Mais le roman ne décolle jamais vraiment à l’inverse de tout ce que Jaenada a pu produire jusqu’ici. C’est juste dommage.

Publié aux Editions Grasset – 2011 -311 pages