29.12.11

Le cœur cousu – Carole Martinez


Voilà un premier roman qui mérite toute votre attention tant il se dégage de lyrisme, de poésie, de tendresse et de violence à la fois. Un roman qui tient du conte fantastique et qui m’a souvent fait penser au « Roi des aulnes » de Tournier (que je considère comme un chef d’œuvre absolu).

Nous sommes dans le sud de l’Espagne vers la fin de XIXeme siècle. Le pays est écrasé de soleil et de chaleur. Une femme, vers la fin de sa vie, racornie, desséchée par les épreuves qu’elle a subies et les renoncements auxquels elle a du se résoudre, entreprend de nous livrer l’extraordinaire déroulement de son existence.

Alors nous allons partir vers un voyage fabuleux qui nous mènera au travers d’une Espagne enracinée dans la pauvreté, secouée par les jacqueries, écrasée sous la botte des aristocrates et dont la populace des villages est aux mains d’un clergé qui perd peu à peu de son prestige.

Ne vous y trompez pas, il ne s’agit en rien d’une fresque historique mais simplement d’une mise en contexte qui va servir de fond de scène aux aventures d’une femme, couturière de son métier, d’un mari forgeron et fou de ses volailles au point de passer deux ans dans son poulailler, nu et muet, en se prenant pour la plus faible des gallinacées, et de leurs cinq enfants.

Fraquista, la mère, le personnage principal du roman, est une femme de caractère. Elle a été initiée par sa propre mère aux rites magiques au moment de ses premières règles. Elle connaît les formules qui guérissent, qui ferment les plaies, qui consolent, qui endorment ou qui ramènent d’entre les morts. Comme don d’outre-monde, elle a reçu une boîte à couture qui fera d’elle la plus extraordinaire des couturières d’Espagne. De bouts de tissu loqueteux, elle peut faire les plus beaux atours, donner vie à ce qui est mort et usé.

Au fur et à mesure que ses enfants grandissent (quatre filles et un garçon), elle initiera ses propres filles qui chacune à son tour recevra un don bien particulier. Pendant ce temps, le mari sombrera dans la folie des combats de coq et y laissera ses biens et sa propre femme.

Jetée sur les routes, poursuivie par un amour adultère brûlant, Fraquista traversera l’Espagne en révolution, franchira la Méditerranée, s’installera aux portes du désert où l’Europe entière viendra lui commander de fastueux habits. Jusqu’à la mort elle-même qui viendra la défier.

Au cours de cette épopée dans laquelle ses enfants l’accompagnent, chacun de ces derniers aura l’occasion de montrer son talent et d’user des pouvoirs magiques qui lui ont été conférés. Toujours dans des situations extrêmes, d’une dangerosité absolue, en vue de fuir d’une issue fatale.

Assassinat, complots, trahisons, amours et passions, folie des hommes sont le fil conducteur de ce récit hallucinant et tendre vis à vis des personnages mis en scène. Cela aurait pu être banal, répétition d’un déjà vu. Il n’en est rien ! On est happé par la force du récit, par la touchante humanité, par la profondeur de l’analyse. On saisit le poids des croyances occultes dans un pays encore pauvre et secoué par de multiples révolutions en route vers le monde moderne. Quand tout change, que la vie est terriblement dure, la mort omniprésente et foudroyante, il faut bien croire en quelque chose de supérieur. Ce sera la foi, le diable, la magie, l’amour, la chance…

Bien qu’épais, le livre se dévore et plonge le lecteur dans l’isolement d’un univers où les ogres sont les hommes, l’art, l’un des moyens de sauver le monde.

Absolument superbe !

Publié aux Editions Gallimard – 428 pages

24.12.11

La martre – Alice de poncheville

Qu’il est agaçant de constater, une fois le premier chapitre commencé, que ce que l’on croyait un roman légèrement doucereux, un peu lent à se mettre en place, est en fait une série de nouvelles ! Pourquoi l’éditeur n’en laisse-t-il rien paraître dans sa, très courte, quatrième de couverture ?

Bref… Ce sont donc dix nouvelles qui constituent le premier ouvrage pour adultes réalisé par Alice de Poncheville. Dix nouvelles qui, sans exception, tournent autour de la solitude, sous toutes se formes, à tous âges, que l’on soit homme ou femme.

Une solitude qui tend ses pièges, racornit les cœurs, isole du monde, confond réalité et imaginaire ou désir. Une solitude aux attraits si puissants qu’elle empêche ici chacun des dix personnages mis en scène de recréer un lien social, comme on dit maintenant.

Des personnages suffisamment banals pour se fondre dans la masse de ces inconnus que nous croisons chaque jour et dont la vie intérieure oscille entre le néant absolu et des pulsions poétiques. Des personnages parfois saisis d’un brin de fantaisie, d’audace pour tenter de s’extirper d’une gangue épaisse qui les isole de leurs congénères.

Ils ont connu un deuil, une séparation ou bien se sont laissés enfermer dans une nasse dont, l’âge aidant, il devient impossible de sortir. Un événement anodin (un mariage, une sortie en voiture, un inconnu qui surgit) va venir bouleverser, sporadiquement, un équilibre apparemment enviable mais au fond, éminemment fragile. Mais ils ne sauront oser aller au bout et la solitude reprendra ses droits, plus fermement encore.

Ces dix courts textes sont assez bien écrits. Il leur manque cependant ce brin de fantaisie, ce côté pétillant et surprenant qui concluent en général toute bonne nouvelle, pour en faire un texte remarquable. Cela se lit bien et s’oublie tout aussi vite. Bref, rien de bien intéressant…

Publié aux Editions de l’Olivier – 185 pages

16.12.11

La traversée du Mozambique par temps calme – Patrice Pluyette


Voilà un titre qui interpelle, qui sent bon l’aventure et le dépaysement. La collection Fiction & Cie du Seuil nous réservant souvent d’heureuses découvertes, notre blanche main de lecteur et blogger avertis ne peut résister à l’appel d’un auteur qui nous fut jusqu’ici inconnu.

Commence alors une traversée littéraire rocambolesque, assez hilarante, mélange de Monty Python et de Comedia Del Arte. Le tour de force est remarquable d’autant qu’il est servi par une écriture puissamment maîtrisée, passablement savante et que l’irruption déterminée de mots ou d’expressions communes mais inattendues rend digeste et allègrement comique. Un sacré morceau de bravoure qui force l’admiration, à vrai dire !

L’intrigue est en soi réjouissante et nous réserve un copieux menu fait de rebondissements, de personnages salvateurs agissant en véritables Dei ex Machina et, au fond, de profonde tendresse de l’auteur pour sa cohorte de personnages terriblement humains dans leurs désirs et leurs quêtes. Des personnages qui seront, c’est selon, transcendés ou emportés par une aventure qui les dépasse et les broie.

Belalcazar est un archéologue à la retraite. Il est hanté par la découverte de la cité mythique de Païtiti, perdue quelque part dans la jungle indienne et qui regorge d’or. Ses trois précédentes expéditions ont tourné au désastre absolu mais il n’a pas renoncé.

Sa nouvelle tentative est rigoureusement planifiée. Il embarque sur un bateau accompagné de deux chasseurs d’ours bruns amérindiens, d’une femme skipper aussi compétente que silencieuse et d’une cuisinière frustrée de n’avoir jamais connu le grand amour. Chacun des membres d’équipage a une revanche à prendre sur la vie, quelque chose à se prouver, un sens à donner à une existence jusque là essentiellement peuplée d’échecs successifs.

Par une suite de circonstances qu’il vous appartiendra de découvrir, l’étrange équipage subira l’assaut d’un pirate fantôme et se retrouvera échoué sur la banquise alors qu’il croyait franchir le détroit de Magellan.

Nous suivrons leur sauvetage d’une mort glacée, leur parachutage en Montgolfière sur la forêt amazonienne, leur traversée d’une jungle hostile, l’assaut d’une tribu déterminée à les dévorer et l’arrivée en train dans la cité promise, sorte de Walt Disney d’une propreté absolue, paradis artificiel et piège mortel. Un délice de délires et d’invraisemblance !

Mais chacun aura, au bout du compte, trouvé l’or tant recherché sous la forme d’un sens personnel à une vide précédemment vide. C’est l’amour, la gloire, l’intégration sociale et la quiétude qui sont les grands vainqueurs d’une troupe d’humains englués dans ses contradictions. Le tout sans moralisation aucune, juste au travers de la catharsis qu’est cette fable moderne.

On ne s’ennuie pas une seconde, sourit et rit souvent face à la facétie des mises en situation et à la volonté absolue de P. Pluyette de nous soumettre à une imagination débridée et qui casse tous les codes de bon sens, de réalisme ou de pertinence. C’est une grosse farce, une sorte de roman théâtral, illustration de l’art de la comédie servi par la technologie du XXIeme siècle. Une bien plaisante curiosité dans tous les cas !

Publié aux Editions Seuil – 317 pages

9.12.11

Cosmopolis – Don DeLillo


Don DeLillo est un auteur américain qui fait figure de référence dans la littérature contemporaine, outre-Atlantique. Il a été récompensé par de nombreux prix prestigieux aux Etats-Unis mais reste relativement peu connu en France.

Je découvrais, avec Cosmopolis, son œuvre.

Cosmopolis est un livre qui dérange, à plus d’un titre. Structurellement, le livre est construit comme une série de scènes plus ou moins hallucinatoires, le plus souvent d’une extrême violence physique, psychologique ou morale. Les transitions sont brutales comme il est fréquent dans la littérature moderne. Une brutalité voulue et entretenue pour secouer le lecteur, le malmener et le mettre mal à l’aise car il s’agit de le préparer à un proche futur. Chaque épisode nous catapulte dans de plus en plus noires profondeurs humaines.

Le proche futur dont il est question n’a rien d’un long fleuve tranquille et plonge New York City, où se déroule l’action, à feu et à sang. Eric Packer est un jeune homme de vingt-huit ans. Il est immensément riche, brillant, mathématicien de génie. Il a bâti une fortune colossale en spéculant sur les devises. Du fond de sa limousine blanche bourrée d’électronique et d’écrans qui lui permettent d’intervenir en permanence sur les marchés, protégé par une petite armée efficace de gardes du corps, il pense diriger le monde. Un monde où il s’ennuie.

Mais voilà que, très vite, la réalité lui échappe. Le Yen sur lequel il engage sa fortune en spéculant à la baisse, ne cesse de monter contre toute attente. Au même moment, des manifestants surgis de nulle part envahissent la ville et lâchent des rats pour semer la panique. Un homme s’immole par le feu, parfaitement calme et immobile. La ville est au bord de la guerre civile. La femme qu’il a épousée refuse de se comporter en épouse et prétexte mille choses pour ne pas faire l’amour. Ceci devient une obsession qui le hante et le pousse à se venger, inconsciemment, sur les autres comme sur lui-même.

Alors Eric se livre à une hyperactivité sexuelle tout en se laissant ausculter par un médecin qui lui annonce une prostate asymétrique. Plus la journée avance, plus la ville se délite, plus graves deviennent les tentatives de s’en prendre à la vie d’Eric. Les menaces s’amoncellent et se précisent de toutes parts.

Plus Eric perd de l’argent, plus il se dépouille, s’introspecte, cherche à donner un sens à une vie dont les sentiments et les passions ont été exclues. C’est à la chute d’un homme, dans un décor hallucinatoire et terrifiant que nous assistons. La nudité, individuelle et collective, sont autant de moyens pour l’auteur pour accentuer des situations intrinsèquement bizarres, voire choquantes. C’est un thème récurrent dans le roman et annonciateur de nouvelles catastrophes tout en déclenchant des prétextes à des pulsions nouvelles.

Pour cela DeLillo use d’une langue souvent à la limite de la vulgarité, une langue crue et cruelle, une langue où les sécrétions, les humeurs et le sexe tiennent une place prépondérante. Une langue qui crée immédiatement un sentiment de malaise et rappelle ces films d’anticipation décrivant un monde en proie à la destruction et à la perte de tout repère.

Pourtant, malgré l’indéniable force qui habite ce roman, je suis resté sans arrêt en dehors, la faute à un parti-pris qui vise à tabasser un lecteur malgré lui. L’intrigue est particulièrement tordue rendant la lecture encore plus complexe.

Bref, j’ai admiré la prouesse littéraire comme on admire la technique infaillible d’un peintre, froidement, sans passion et refermé le livre en me demandant si j’allais tenter une nouvelle chance…

Publié aux Editions Actes Sud – 222 pages

3.12.11

Trente ans et des poussières – Jay Mc Inerney


A trop camper certains romans dans leur époque, l’auteur prend le risque d’un vieillissement prématuré. C’est exactement ce qui se passe avec « Trente ans et des poussières ».

Publié an 1992 aux Etats-Unis et en 1993 en France, ce roman à la gloire des années de facilité et d’enrichissement rapide que fut l’époque Reagan, connut un vif succès. Il a symbolisé parfaitement ce en quoi l’Amérique triomphante croyait, et aimerait croire encore, 16 ans plus tard, en pleine crise financière mondiale…

En gros, c’est en prenant des risques que l’on peut espérer gagner pour autant qu’on investisse de sa personne et que l’on sache oser. Malheur à ceux qui font marche arrière ou qui font preuve de pusillanisme, ils se feront emporter.

Pour camper ce credo, l’auteur choisit de nous conter longuement, trop longuement d’ailleurs, les déambulations et gesticulations d’un couple de trentenaires. Mariés depuis plusieurs années, ils symbolisent pour leurs amis le couple exemplaire et un peu ridicule. Pas d’amant, pas de maîtresse, une fidélité apparemment à toute épreuve. Lui, Russel, est directeur de collection dans une petite maison d’édition. Elle, Corinne, est agent de change et tente de placer des produits financiers miracle auprès de petits investisseurs particuliers.

Mais, au fond, ils s’ennuient ferme. Elle n’en peut plus de devoir faire des preuves, de forcer sa nature en poussant des placements censés enrichir le gogo à coup sûr. Et elle crève de devenir mère.

Lui défend des auteurs difficiles et aussi peu loyaux qu’ils sont retors. Peu à peu, une belle et intrigante financière de ses amies va lui susurrer de s’endetter et de se lancer dans une OPA hostile de son propre employeur et de liquider ainsi un patron qu’il abhorre.

Bref, il va finir par parvenir à ses fins mais y perdra son âme, son sommeil, son intégrité et provoquera le naufrage de son couple. Le progrès dans l’échelon social est inversement proportionnel à l’estime que chacun des époux aura pour l’autre au fur et à mesure que les façades tombent. Rassurez-vous cependant, nous sommes face à l’archétype du roman américain et il y aura une happy end très morale.

Comme le style de ce roman est au demeurant assez quelconque, il faut une intrigue solide pour tenir le lecteur en haleine. Et c’est là que le bât blesse : l’histoire traîne en longueur, un luxe de détails et de scénettes finissant par provoquer un début de nausée. Les rebondissements sont convenus et prévisibles. Le foisonnement de personnages finit de perdre le lecteur désabusé.

Moins de trente ans plus tard, on se demande comment un tel roman aussi fade trop long et un peu ridicule a pu connaître un tel succès. Un bon conseil, trouvez d’autres suggestions de lecture, Cetalir n’en manque pas !

Publié aux Editions de l’Olivier – 554 pages